Officine Universelle Buly : le passé comme terrain de jeu

Il y a des marques qu’on croit ressuscitées pour mieux capitaliser sur la nostalgie. Et puis il y a Buly. Une maison de beauté oubliée du XIXe siècle, réveillée en 2014 par un homme qui n’a rien d’un marketeur. Ramdane Touhami est un conteur, un esthète, un stratège de l’ombre qui refuse les recettes toutes faites. Autodidacte flamboyant, il a vendu des tee-shirts dans les années 90, dirigé une agence, relancé Cire Trudon, bousculé les codes du luxe… avant de redonner vie à l’Officine Universelle Buly.

Mais il ne s’agit pas d’un simple “rebranding”. Touhami ne remet pas au goût du jour, il fabrique du goût. Il ne restaure pas un patrimoine, il compose un univers. Buly, c’est une réinvention totale : un langage, une scénographie, un style. Le tout porté par une idée forte : et si le passé était plus audacieux que le présent ?

L’univers comme manifeste

Chaque boutique est unique. Pas de logo, pas de guidelines. Les flacons sont lourds, les étiquettes dignes d’un cabinet de curiosités, le ton volontairement suranné. On entre chez Buly comme dans une scène de film. Et c’est bien cela : Buly est une marque-cinéma. Chaque détail joue un rôle, chaque produit est un personnage. L’univers est total, radical, inimitable.

Ce qui frappe, c’est la cohérence. Derrière l’exubérance apparente, tout est pensé. Chaque point de contact est façonné avec la rigueur d’un directeur artistique. La marque parle à l’œil, à l’oreille, à l’intellect.

Crédit : Officine Universelle Buly / Muuuz Magazine - Source : Muuuz Magazine - Photographies : Kozo Takayama

Éditorialiser pour exister

Le site web est un roman feuilleté. Chaque produit y est décrit avec un mélange d’érudition, d’humour et de poésie. Les textes sont signés. Les phrases longues. Les mots rares. Et pourtant, tout se lit avec plaisir. C’est l’une des rares marques à avoir fait du texte un objet de désir.

La publication du livre The Beauty of Time Travel, co-écrit avec Victoire de Taillac, co-fondatrice de la maison, confirme cette posture éditoriale : chez Buly, le contenu n’est pas un prétexte. Il est central, construit comme une œuvre. On y décèle une stratégie de contenu exigeante, cultivée, audacieuse.

Une marque qui parle… en écrivant

Chez Buly, la communication ne suit pas un plan marketing trimestriel — elle suit une narration.

Et cette narration prend vie dans un espace éditorial singulier : la Bulythèque.

Présentée comme une “collection aléatoire de textes, de périodiques et de tous autres documents graphiques, audiovisuels et radiophoniques relatifs à l’Officine Universelle Buly”, la Bulythèque fonctionne comme un hub de contenu éditorial, où chaque publication semble sortir d’un autre temps. Mais ne vous y trompez pas : c’est une stratégie de contenu parfaitement contemporaine.

On y trouve deux grandes catégories :

  • Le Corpus Magazine : sorte de journal de bord culturel et poétique, où se mêlent recettes, récits, références artistiques ou fragments d’essais imaginaires.

  • Les Dépêches de l’Officine : des textes courts, à mi-chemin entre la microfiction et la notice botanique.

Tout est signé, écrit, pensé dans un style littéraire, décalé, délicieusement anachronique.

Une forme de slow content, mais assumée comme une écriture de marque à part entière.

Rituels historiques, formats contemporains

La stratégie éditoriale de Buly ne s’arrête pas au texte. La marque a lancé un podcast immersif intitulé Rituels historiques de beauté, disponible sur toutes les plateformes. Chaque épisode plonge dans un rituel ou une époque (la Rome antique, le Harlem des années 30, les bains ottomans), avec le même soin narratif et la même volonté de transmission.

On n’est pas dans un “contenu brandé” au sens classique. On est dans la construction d’un imaginaire éditorial, à cheval entre le documentaire, le manifeste, et le récit culturel. Ce podcast, comme la Bulythèque, vient consolider une posture de marque savante, sensorielle et inspirante.

Réseaux sociaux : un monde, pas un canal

Sur Instagram comme sur Facebook, Buly maintient une présence active. Mais là encore, pas question de céder aux codes des marques “algorithme-friendly”. Pas de CTA, pas de lives, pas de jeu-concours. Les posts sont rares, mais pensés comme des tableaux, souvent tirés d’un autre siècle ou mis en scène avec humour.

Les Reels reprennent des formats narratifs (filmés à la manière d’un tutoriel ancien, comme celui intitulé “Savoir se tenir, depuis 1803”), et les Stories à la une mettent en valeur les boutiques, les villes, les gestes, les voix.

On y trouve même une série dédiée au podcast, et une autre au recrutement, preuve que tout ce qui compte pour la marque trouve un écho éditorial — jamais publicitaire.

Leur Instagram fonctionne alors comme une vitrine narrative. C’est un portfolio silencieux, mais puissamment expressif.

Buly ne cherche pas à parler à tout le monde. Elle parle juste, dans son ton, à son rythme, avec sa grammaire visuelle.

Une voix singulière dans le bruit global

Ce choix est tout sauf naïf. Il traduit une stratégie d’attractivité inversée. Buly ne cherche pas à capter. Elle laisse venir. Elle construit la désirabilité par la cohérence, l’exigence, l’expérience. L’anti-marketing devient ici une forme de branding supérieur.

Ramdane Touhami l’exprime ainsi : « Je veux que la marque parle plus fort que moi. » Et c’est exactement ce qui se passe. Buly est devenu une référence mondiale, sans publicité traditionnelle, sans influenceurs, sans storytelling fabriqué. Juste avec une vision. Et une exigence absolue.

Ce que Buly nous dit aujourd’hui

Pour les institutions et les marques publiques

Il n’est pas nécessaire de “moderniser” pour exister. Un patrimoine, un lexique institutionnel, une esthétique locale peuvent devenir des forces, à condition d’en faire un récit vivant.

Pour les entreprises B2B

La rigueur n’exclut pas l’émotion. On peut être technique, industriel ou réglementaire, et pourtant raconter une histoire. Celle de son utilité, de son engagement, de sa singularité.

Pour les communicants

Le style est une stratégie. Choisir ses mots, ses images, ses formats, c’est déjà prendre position. Dans un monde saturé de contenus, seule une voix vraiment singulière émerge.

À retenir

  • Une marque sans logo peut être plus reconnaissable qu’un slogan répété

  • La forme peut dire le fond avec plus de force que les arguments

  • L’éditorial est une arme stratégique : il construit la valeur perçue dans le temps

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Les visuels utilisés dans cet article sont présentés dans un cadre éditorial. © Les droits appartiennent à leurs auteurs respectifs. Si vous êtes ayant droit et souhaitez une mise à jour ou une suppression, contactez-nous à moien@wili.lu

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14.06.2025

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