The Row : l’art de (presque) ne pas communiquer

Et si la vraie question n’était pas de produire plus, mais de décider mieux où l’on parle ?

Dans beaucoup de briefs, une petite phrase revient, parfois formulée autrement :

« On doit être plus visibles. On doit produire plus de contenu. »

L’injonction est devenue familière : être présent sur davantage de canaux, ouvrir un podcast, lancer une newsletter, imaginer une série vidéo… Y compris pour des marques très sérieuses, B2B, institutionnelles ou publiques.

La question, aujourd’hui, n’est plus vraiment : « Faut-il produire ? »

Évidemment que oui : on a besoin de formats, de campagnes, de rendez-vous éditoriaux.

La vraie question, c’est plutôt : À partir de quand le « plus de contenu » devient du bruit ?

Et comment choisir les formats qui servent vraiment la marque, plutôt que de la diluer ?

The Row : un cas extrême pour repenser la communication de marque

The Row est fondée à New York au milieu des années 2000 par Mary-Kate et Ashley Olsen, avec une ambition très simple : concevoir quelques pièces parfaites – un T-shirt, un legging, une robe en cachemire – plutôt qu’une garde-robe saturée de logos et d’effets. Vingt ans plus tard, la marque est devenue une référence mondiale du quiet luxury : silhouettes sobres, matières irréprochables, palette éteinte, refus systématique de la démonstration. La presse économique évoque aujourd’hui The Row comme une maison valorisée autour du milliard de dollars, après l’entrée au capital de structures liées aux familles propriétaires de Chanel et de L’Oréal.

Ce qui nous intéresse ici, ce n’est pas le prix des sacs ni le prestige des défilés, mais la cohérence d’ensemble : une marque très haut de gamme qui communique peu, mais dont chaque choix de communication raconte exactement la même chose que le produit.

Dans un environnement où beaucoup d’organisations – banques, institutions, acteurs B2B ou services publics – se sentent poussées à « faire plus » pour exister, The Row devient un cas extrême, presque un contre-modèle : à quoi ressemble une stratégie de communication quand on assume que la retenue et la rareté font partie de l’ADN de marque ?

C’est là que l’exemple de The Row devient intéressant.

Une stratégie de communication construite autour de la retenue

On pourrait croire que The Row se contente d’être silencieuse par tempérament. En réalité, sa communication est tout sauf improvisée.

Un digital minimaliste, mais parfaitement aligné

Le site officiel se présente en quelques lignes : une maison fondée par les sœurs Olsen, tournée vers des pièces « intemporelles », sans storytelling biographique envahissant ni manifeste bavard. L’accent est mis sur l’évidence : vêtements, sacs, accessoires, quelques mots, pas de slogan tonitruant.

Sur Instagram, la marque, qui compte 2,9M de followers en décembre 2025, adopte une posture que plusieurs observateurs décrivent comme une forme de « silent social » : peu de publications, beaucoup de blancs, des images qui ressemblent à un moodboard – œuvres d’art, vues d’architecture, détails de matières – bien plus qu’à un catalogue produit. Le ton est neutre, presque clinique.

Instagram @therow

Aujourd’hui, The Row n’entretient officiellement qu’un seul réseau social : Instagram. Le site de la marque ne renvoie qu’à ce compte et à une newsletter, sans TikTok, sans Facebook, sans X, sans LinkedIn mentionnés. Tout ce qui circule ailleurs – hauls de sample sales sur TikTok, looks décryptés sur YouTube, commentaires sur X – est porté par des tiers, pas par la marque elle-même. Là encore, c’est un choix : limiter sa présence propriétaire, tout en acceptant que le récit se prolonge de façon organique là où les publics s’en emparent.

Autrement dit : The Row ne cherche pas à « gagner la bataille de l’algorithme ». Elle utilise les réseaux sociaux comme un prolongement visuel de sa vision, pas comme un canal promotionnel à haute fréquence.

Des boutiques et une “Galerie” qui deviennent médias

L’autre choix fort de The Row concerne les lieux physiques. Les boutiques de la marque – à Los Angeles, New York, Londres puis Paris – sont pensées comme des appartements ou des galeries : volumes sobres, mobilier moderniste, pièces de design et œuvres d’art, le tout mis en scène avec une retenue quasi muséale.

En 2024-2025, la marque franchit une étape supplémentaire en lançant une « Vintage Home Collection » : une sélection de mobilier et de textiles du XXe siècle, présentée dans la rubrique Galerie du site et dans certains espaces physiques. On y trouve, par exemple, une table Cansado de Charlotte Perriand ou des fauteuils Guillerme et Chambron, choisis pour leur affinité avec l’esthétique de la maison.

Ici encore, le message est implicite : la marque ne vend pas uniquement des vêtements, elle propose un art de vivre discret, que l’on habite autant que l’on porte.

Du point de vue de la communication, c’est un geste très clair : faire du lieu – showroom, bureau, galerie – un support éditorial à part entière, capable de raconter la marque sans nécessiter de discours supplémentaire.

La “no phone policy” : un manifeste en forme d’email

Depuis 2024, The Row applique lors de ses défilés parisiens une règle qui a beaucoup fait réagir : les invités sont priés de ne pas utiliser leurs téléphones ni de prendre de photos. À l’entrée, on fournit des carnets et des stylos japonais pour prendre des notes.

Les invitations envoyées aux journalistes et acheteurs formulent la demande en toutes lettres : « Nous vous demandons de vous abstenir de capturer ou de partager du contenu pendant l’expérience. »

Dans un contexte où la plupart des maisons de luxe misent sur des shows calibrés pour Instagram et TikTok, cette interdiction est tout sauf anecdotique. Elle a suscité une vague de commentaires dans la presse, entre fascination et critiques sur le côté élitiste du dispositif.

Sur le plan de la stratégie de contenu, le geste est limpide :

  • l’événement n’est pas conçu pour générer une masse de contenus spontanés ;

  • la marque reprend la main sur le quand et le comment des images qui circulent ;

  • l’expérience vécue sur place est privilégiée par rapport à l’extension immédiate sur les réseaux.

Ce n’est pas “anti-digital”. C’est une affirmation : le temps fort se vit d’abord dans la salle, puis se raconte dans un second temps.

Rareté organisée, désir amplifié

Enfin, The Row cultive la rareté au quotidien – peu de points de vente, distribution sélective, prix positionnés dans le très haut de gamme – tout en provoquant, une fois par an, une forme de catharsis : la célèbre sample sale new-yorkaise.

Les articles récents de Business Insider, Vogue ou Page Six décrivent des scènes quasi irréelles : des clientes qui campent devant le lieu, des « line sitters » rémunérés 25 dollars de l’heure pour garder une place, des milliers de vidéos TikTok détaillant les hauls à –75 %, des discussions enflammées sur la “vraie valeur” des pièces et la tension entre exclusivité et accessibilité.

La marque, qui confie ces ventes à des opérateurs spécialisés, essaie de garder un cadre strict (photos en principe interdites, capacité limitée). Mais une fois que la file d’attente devient elle-même spectacle, le récit lui échappe en grande partie.

Le paradoxe est intéressant pour nos métiers :

en cultivant la rareté au quotidien, The Row a créé une telle tension qu’un simple dispositif de déstockage se transforme en événement de contenu à haute valeur virale – sans campagne planifiée, sans slogan.

Ce que The Row raconte de notre métier de communicant

Si l’on met de côté la mode, que nous dit ce cas pour une direction communication, marketing ou RH au Luxembourg ?

Ne pas partir des canaux, mais de la posture

The Row ne s’est pas demandé : « Faut-il être sur TikTok ? Faut-il lancer un podcast ? »

La question de départ ressemble plutôt à : “Quel type de présence est cohérent avec ce que nous vendons : un luxe discret, lent, extrêmement maîtrisé ?”

En partant de là, la marque a accepté de renoncer à certains leviers (visibilité maximale, viralité, influenceurs à répétition) pour renforcer quelques points de contact : site, boutiques, défilés, presse choisie.

Pour une institution ou une entreprise B2B, la transposition est directe : la stratégie de contenu ne devrait jamais être une liste de formats “tendance” collés les uns aux autres, mais la traduction concrète d’une posture de marque : rassurante, pionnière, accessible, experte, etc.

Faire moins de formats, mais leur donner un vrai rôle

Là où beaucoup d’organisations multiplient les supports – un peu de tout, tout le temps – The Row s’appuie sur un nombre limité de “formats signature” :

  • le site et sa Galerie de mobilier,

  • sa page Instagram,

  • le défilé sans téléphone,

  • la boutique-galerie,

  • quelques apparitions presse très contrôlées.

Chaque format a un rôle clair : installer un imaginaire, incarner un niveau d’exigence, nourrir la légende plutôt que la saturer.

À l’échelle d’une banque, d’un ministère ou d’un groupe industriel, cela peut vouloir dire : plutôt que d’essayer de “tout faire” – posts quotidiens, vidéos compulsives, newsletters sporadiques – choisir 2 à 3 formats forts et investir sérieusement dedans. Une série vidéo bien construite, un rendez-vous éditorial récurrent, un rapport annuel pensé comme un vrai objet narratif.

Travailler la sobriété éditoriale, pas seulement graphique

Le quiet luxury est souvent réduit à une esthétique beige et minimaliste. En réalité, c’est surtout une manière de gérer la parole : peu de slogans, peu de superlatifs, beaucoup de signes indirects (lieux, gestes, rituels, façon d’apparaître ou de disparaître).

Transposé à une marque institutionnelle ou B2B, cela peut signifier :

  • écrire moins, mais plus clairement ;

  • éviter les promesses qui sonnent comme des campagnes d’auto-promo permanente ;

  • concentrer le discours sur quelques récits structurants (la mission de service public, la transformation environnementale, la qualité de la relation clients, la culture managériale…).

Cette sobriété ne signifie pas toujours parler moins souvent ; elle signifie parler avec plus de précision.

Inspirations concrètes pour vos réalités

Côté institutions et acteurs publics

Vous n’allez pas imposer un « no phone policy » à toutes vos conférences. Mais vous pouvez vous inspirer de cette logique de priorité à l’expérience :

  • créer quelques moments “hors flux” dans l’année – visites, rencontres, événements – pensés d’abord pour les personnes présentes, puis seulement ensuite racontés sur vos canaux ;

  • clarifier le rôle de vos supports : un site comme base de référence fiable, un LinkedIn pour la pédagogie et les coulisses, éventuellement une newsletter pour un cercle de professionnels ciblés ;

  • identifier un format signature (un baromètre annuel, une série de portraits métiers, un rendez-vous récurrent avec les usagers) qui deviendra, à terme, votre “show” à vous.

L’idée n’est pas de se faire discret par principe, mais de sortir de la logique du flux permanent sans hiérarchie.

Côté entreprises B2B et marques techniques

La plupart des acteurs B2B ont une force : la substance. Des projets complexes, des cas concrets, des métiers exigeants.

L’enseignement de The Row, ici, serait :

  • ne pas complexer de ne pas être “insta-friendly” tous les jours ;

  • faire de vos sites, usines, agences, centres de formation de vrais lieux de récit – comme la Galerie de mobilier chez The Row, mais adaptés à votre univers ;

  • accepter que certains contenus soient profonds, longs, exigeants, destinés à un public restreint mais stratégique, plutôt que de viser systématiquement le buzz.

Un bon cas client bien écrit, une visite terrain bien mise en scène, un webinaire pensé comme un véritable rendez-vous peuvent avoir plus d’impact que dix posts interchangeables.

Côté marque employeur et DRH

Enfin, pour les RH, l’exemple de The Row rappelle une évidence parfois oubliée : on peut faire envie sans tout montrer.

La tentation, en interne, est souvent de transformer chaque moment en contenu – afterwork, séminaire, petit-déjeuner, coulisses.

En s’inspirant de la posture The Row, on pourrait au contraire :

  • choisir les moments qui ont du sens (onboarding, projets transverses, transformations profondes) et les raconter avec soin ;

  • aligner le ton interne et le ton externe : si vous promettez de la sobriété, du temps long, de l’attention, la communication interne ne peut pas ressembler à un flux de notifications permanentes ;

  • accepter que certaines choses restent simplement vécues et partagées en petit comité, sans forcément devenir un contenu.

Là encore, ce n’est pas “ne plus communiquer”.

C’est communiquer en considérant que le temps, l’attention et la confiance des équipes sont des ressources précieuses.

En quoi ce cas renforce aussi une autre façon de penser l’agence

Lire The Row comme un cas de communication, c’est valider une intuition que beaucoup de directions ressentent sans toujours oser l’énoncer : produire plus n’est pas une stratégie. Clarifier une posture, choisir ses formats et accepter la rareté, ça, oui.

Quand les agences promettent souvent « plus de visibilité », « plus de contenus », « plus de présence », l’exemple de The Row ouvre une autre voie :

  • une marque peut être extrêmement forte avec une présence digitale minimale, si tout le reste de l’écosystème (produits, lieux, expériences, relation) est aligné ;

  • la rareté n’est pas un manque, c’est un choix stratégique, à condition qu’il soit expliqué et assumé.

Ce type de cas ne sert pas seulement à se demander « quel contenu produire en plus », mais à ouvrir d’autres questions, plus utiles à long terme :

  • où se situe aujourd’hui le bruit dans votre écosystème de prise de parole ;

  • quels formats pourraient devenir de vrais “moments signés”, plutôt que des contenus de remplissage ;

  • comment articuler campagnes, contenus de fond et dispositifs internes pour raconter une histoire cohérente – dans le temps, et pas seulement à l’échelle d’un trimestre.

The Row est un cas extrême. Mais c’est précisément ce qui en fait un bon laboratoire mental.

Et si, pour votre marque – institutionnelle, B2B ou grand public – la prochaine étape n’était pas d’ajouter un canal, mais de décider enfin ce que vous choisissez de taire, pour mieux faire entendre le reste ?

Les visuels utilisés dans cet article sont présentés dans un cadre éditorial.

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